Robert Lalonde, un écrivain de haute taille

Lettre vagabonde – 23 mars 2021

Dans La Reconstruction du paradis Robert Lalonde prend la mesure de la précarité de l’existence, soulève la poussière du temps et chemine sur les voies de la tourmente et de l’apaisement. Devant l’inconstance de son singulier destin il empoignera son stylo, changera de cap. Tout comme Marguerite Yourcenar, il ne craint point « un coup de folie pour bâtir un destin ».

Dans la nuit du 26 décembre 2018, la demeure de Robert Lalonde est entièrement rasée par les flammes. L’écrivain lecteur s’en relèvera grâce à l’écriture. « Depuis plus de six mois, je vois un gouffre dans une égratignure. Alors j’écris. C’est ma façon de respirer ». À coups de « hélas » et de « bon débarras », il se dégagera de l’ancienne piste pour baliser de nouvelles traces. « Survivre est possible quand la mort est passée sans vous prendre. » C’est un commencement autour de ses valeurs essentielles : ses amours et ses lectures. L’énumération en continue, en deux phrases sur deux pages, projette en accéléré les bons et les mauvais moments d’une trame de vie dans la maison disparue. La page est tournée. Il entame un autre chapitre. « … je pars arpenter l’arrière-nouveau pays en vue du long, j’espère, plan séquence que sera le dernier tournant de ma vie. »

Comme à son habitude, Robert Lalonde fonce sur le chemin de la réflexion en se choisissant un compagnon de route. Ce sera Walt Whitman, l’un des rares rescapés de l’incendie qui a réduit en cendres sa bibliothèque de 4000 volumes. Au fil des pages, il traduira les poèmes de Walt Whitman. Deux voix à l’énergie brute et puissante retentissent sur la route du doute et de l’éblouissement. Deux voix qui cherchent à s’extraire de l’engrenage des habitudes et du poids des idéologies. Comme destination : la souveraine liberté. Les rencontres se succèdent, l’écrivain revoit ses amis disparus dans les flammes », Marie-Claire Blais, Jean Giono, Gabrielle Roy, William Faulkner, Virginia Wolf et tant d’autres.

Le ton des carnets alliant l’universel et l’intime noue entre auteur et lecteur une étroite complicité. « Lectrice, lecteur, tu es un(e) inconnu(e) et aux inconnus il est facile de se confier : ce qui m’a toujours manqué, me manque encore parfois, me manquera sans doute à tout jamais, ne me fait plus un pli sur la différence. » L’écrivain s’accorde une nouvelle chance. « Toujours vivant, toujours de l’avant » qu’il traduit de Walt Whitman lui sied bien. On dirait la grâce qu’il nous souhaite, celle de l’élan, de l’authenticité et d’une indéniable sincérité. « Dieu merci, je crois avoir dépassé l’âge où, par timidité ou par désir de plaire, on est rarement sincère. »

Tout ce que décrit, raconte, invente les carnets, Robert Lalonde l’a transformé en poésie, en philosophie et en tableaux vivants. Il écrit : « j’ai dans le regard des précisions qui restent. » Un regard vigilant et pénétrant qui éclaire et guide. On suit les embellies au quotidien : sa relation amoureuse, les fleurs rapportées de l’ancien jardin, la sérénité que procure un lac ou un arbre debout. Même la pandémie trouve grâce à ses yeux et bourre d’espoir. « Et si ce qui arrive, cette pandémie qui alarme tout un chacun et au passage fauche des vies, était l’occasion non pas de recommencer, mais de commencer pour de vrai à vivre sans tout exiger, à nous aimer les uns les autres sans nous faire de mal, à savourer le temps hors du temps, à cesser de croire à un dieu abstrait… »

La Reconstruction du paradis est parsemé d’histoires de résistance et de ravissement malgré le désordre et le chaos. Malgré  les vents contraires, les carnets de Robert Lalonde maintiennent le cap sur le risque de vivre et s’acharnent à bannir la peur de mourir. « Écrire, c’est se « défixer » et non se centrer, c’est d’aller voir ailleurs pour regarder en soi. »

Lire les œuvres de Robert Lalonde, c’est aller à la rencontre d’une multitude d’écrivains qui entretiennent des liens tissés serrés avec lui.  « Que de voix parlent en moi » de Whitman résume bien celle de l’écrivain qu’est Robert Lalonde. Ces voix, la sienne les contient toutes. Il nous rend bien ce qu’il a reçu d’eux. « Je les revisite ensorcelé comme autrefois, réapprenant les beaux risques qu’ils m’ont, chacun à sa manière, autorisé à prendre. Au fil des années, ces maîtres m’ont tiré des pièges, m’ouvrant grand la fenêtre sur un univers qu’ils ont eu la charité de me montrer sans me l’expliquer. » Certes, un écrivain de haute taille que l’auteur de La Reconstruction du paradis.

2 commentaires

  1. Salut Alvina,
    Si le père de Robert Lalonde se considère comme un peintraillon, Robert est loin d’être un écrivaillon. Ses mots nous conduisent partout dans la nature en diverses saisons rappelant l’importance de la protéger, de la conserver, d’en être les gardiens. Son vécu, ses commentaires ne peuvent me laisser froid, ils me touchent profondément. Ses traductions des vers de Whitman sont délirantes.

  2. La Reconstruction du paradis est si bien décrite dans cette chronique Alvina que j’ai le goût d’en apprendre plus et j’arrive à faire des liens en regard des attachements que j’ai pu avoir au cours de mes ans. « Voir un gouffre dans une égratignure » tout perdre sauf la vie n’est pas rien, mais geindre changerait peu, à force de courage et d’abnégation vis-à-vis des pertes matérielles, Robert Lalonde a chaussé ses bottes de sept lieues, retroussé ses manches, secondé de sa conjointe, le nous est présent dès les premières pages, après errance et « souveraine liberté » un nouveau paradis s’est reconstruit selon une pensée épurée de l’importance. Il me reste à comprendre l’élément perturbateur de ce nouveau récit, élément qui n’est pas l’incendie mais la poésie du vieil Walt Whitman :
    https://bit.ly/2PmboK7
    Mon exemplaire m’attend sur ma table de chevet et comme à l’épicerie, il est en file et suit de près Un Café avec Marie.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *